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MAITRISER LA TECHNIQUE : ANDRÉ DUSSOLLIER DANS TANGUY

Dernière mise à jour : 5 mai 2024

« Je n'ai pas aimé la pièce, mais je l'ai vue dans de mauvaises conditions :

le rideau était levé, et, de plus, les acteurs articulaient parfaitement ».

Groucho Marx


On pense souvent à tort qu'il est plus facile de faire rire le spectateur que de le faire pleurer.

Faire rire le spectateur est extrêmement difficile, car tout est une question de timing. La rapidité ou la lenteur d'un geste ou d'une réplique, la façon de la prononcer, le temps que vous mettrez avant, après, pendant, bref, tout cela constitue le timing comique et est l'une des clés permettant à un acteur de déclencher le rire du spectateur.

Or, pour pouvoir adopter le timing voulu, l'acteur devra d'abord travailler sa technique. Elocution et articulation devront être parfaitement maitrisées. Il faudra qu'il puisse jouer un personnage qui marmonnerait comme Michel Houellebecq, et le mois d'après un Fabrice Luchini et ses envolées lyriques à l'articulation parfaite voire exagérées exprès.


André Dussollier dans Tanguy (Etienne Chatiliez, 2001).

André Dussollier est un maître du timing comique. Premier prix du Conservatoire, pensionnaire de la Comédie Française depuis 1972, il a travaillé aussi bien au théâtre qu'au cinéma. Voilà un homme dont la technique de jeu est absolument parfaite.

Dans Tanguy, André Dussollier interprète Paul Guezt. Avec sa femme Edith (Sabine Azéma), ils sont les parents du fameux Tanguy (Eric Berger), qui à 28 ans ne se décide toujours pas à quitter le foyer familial, au grand désespoir de ses parents. Lorsqu'enfin il se décide à prendre un appartement tout seul, ses parents ne peuvent y croire. Certes, il les appelle quasiment encore tous les soirs pour qu'ils lui apportent un soutien moral... mais au moins il n'est plus à la maison! Puis peu à peu, ces appels incessants irritent ces parents déjà trop patients.

Un soir, c'est l'appel de trop. Alors que Tanguy, au téléphone avec sa mère, demande à parler à son père, Paul dit avec un calme olympien à sa femme « passe le moi ». Puis, s'emparant tranquillement du téléphone, et alors que l'on s'attend à entendre pour la énième fois le père rassurer son fils, Paul lui hurle avec une rapidité époustouflante: « tu vas arrêter de nous faire chier avec tes conneries, oui??! » puis il raccroche.


La première fois que j'ai vu cette façon qu'a eu Dussollier de jouer cette réplique, j'ai littéralement explosé de rire, et l'ai immédiatement remise au début. Pourquoi?


Tout d'abord, la situation est cathartique. En tant que spectateur, nous attendons depuis longtemps que les parents remettent ce fils déjà adulte à sa place. Le voir se faire envoyer promener est un salut pour le spectateur. Puis Dussollier, par son timing, nous prend par surprise. Le calme avec lequel il regarde sa femme parler à son fils avant de prendre le combiné est une première étape pour ce qu'il veut amener. Puis il met un temps au moment de mettre le combiné à son oreille. Il affiche une moue calme, rassurante, très paternelle.

Le changement d'expression qu'il opère au moment où il hurle prend 1/10ème de seconde. Le père de famille explose. Il extériorise tout l'agacement qu'il avait accumulé jusque là. Et la réplique « tu vas arrêter de nous faire chier avec tes conneries, oui??! », pourtant longue, arrive à être glissée avec force et explosion en mois d'une seconde.

Si Dussollier n'avait pas eu la technique qu'il a acquise tout au long de sa carrière, il n'aurait pas pu faire cette réplique aussi rapidement et investie. Il aurait bafouillé, aurait mangé des mots ou certaines syllabes. Or, chaque syllabe est claire quand bien même la réplique aille à la vitesse de l'éclair. Il n'y a pas de secret: c'est parce qu'il a travaillé ses gammes, parce qu'il s'est décarcassé à faire des exercices d'articulations des heures et des heures durant, et parce qu'il connait la valeur du timing comique qu'il a décidé de le faire de cette manière.


Chez QUATRIEME MUR, nous mettons un point d'honneur à insister sur tous les aspects sur jeu de l'acteur. L'intériorité bien entendu, croire en la situation et en son personnage, mais aussi les aspects plus techniques tels que l'articulation ou le jeu par le corps.


Nous considérons que les acteurs sont semblables aux athlètes. Ces derniers, par le biais d'entrainement quotidien, façonnent leur corps de façon à ce qu'il réponde à leurs attentes, en un dixième de seconde. Qu'il n'y ait même plus la nécessité de penser pour faire le geste.


Tout comme un pianiste sera capable d'accélérer le rythme sur son clavier, ou au contraire de jouer piano, l'acteur doit travailler l'aspect technique de son jeu afin de pouvoir faire face à n'importe quelle situation, n'importe quel type de personnage.



 
 
 

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